Dans les années 70, j'étais installé photographe à La Fère,
spécialisé dans le domaine du portrait et du reportage.
Correspondant de presse, j'ai eu un jour l'occasion de
photographier Claude François sur scène.
Sa notoriété n'était pas encore celle qu'il avait atteinte
quelques années plus tard mais, toujours est-il qu'un soir
il était venu faire son show à Achery,
petit village à quelques kilomètres de La Fère.
Un chapiteau avait été installé sur la place, un chapiteau de
300 places. Mais ce sont 500 fans qui ont envahi les lieux.
500 personnes survoltées, d'autant qu'il avait mal à la gorge,
et qu'il annonça qu'il ne pourrait satisfaire son public
que si on lui amenait un jaune d'oeuf et un citron.
Un jaune d'oeuf, passe encore,
des poules et des oies c'est la région. Mais un citron !
On l'a quand même trouvé, ce citron...
Et c'est à 22 heures qu'il est entré sur scène.
Il était temps !
Un quart d'heure de plus, c'eut été la révolution dans la salle.
Equipé de mon Rolleiflex, j'ai commencé à faire quelques
prises de vues, bousculé, dans les pires conditions.
La scène était très haute, et je ne pouvais faire que
des photos en contre-plongée.
Pas satisfait du tout, j'ai alors décidé de monter sur scène.
Bonne initiative,
c'est quand même là que j'ai fait les meilleures.
Mais ma joie fut de courte durée.
Un gorille m'a sauté dessus et m'a carrément balancé en bas
de la scène en me disant:
" La vedette c'est pas toi, c'est lui !"
Le spectacle terminé, ou presque, Cloclo enlève sa veste.
Il la fait tournoyer pour la jeter dans la foule, mais...
un autre gorille la récupère avant qu'elle n'aille s'échouer
dans la bande de fans en délire.
Il enlève alors sa chemise, une chemise rouge écarlate,
s'essuie le corps avec, le visage, et là il la jette en pâture
aux excitées qui hurlent "Cloclo Cloclo !".
Et la soirée se termine dans le plus spectaculaire pugilat,
la gente féminine s'arrachant avec grands cris la relique de
"Saint-Cloclo", dans une atmosphère indescriptible,
indescriptible même par la photo,
car j'avais épuisé les 12 clichés de ma pellicule 6x6
(pas question de recharger mon appareil dans une telle cohue)
et que les seules dernières images de cette soirée
ne sont plus que dans ma tête.
Mais quel souvenir !
Quelle ne fut pas ma surprise le lendemain
quand une de mes clientes est venue me voir.
Elle ouvrit son sac à main et m'exhiba avec fierté...
une manche de chemise rouge, en me disant:
"Cette nuit, j'ai dormi avec Cloclo!".
Adieu l'Ami !
Jean.